Disparition des abeilles : la fin d'un mystère - suite

Publié le par rueda

"Il faut se désintoxiquer des pesticides"
NOUVELOBS.COM | 26.03.2009 | 13:52

Natacha Calestrémé, la réalisatrice du film «Disparition des abeilles, la fin d’un mystère» nous explique comment la piste des pesticides, responsables selon elle de la surmortalité des butineuses, s’est imposée après trois ans d’enquête.

 

Sciences-et-Avenir : Des chercheurs du monde entier se penchent sur la disparition des abeilles. Vous auriez résolu le mystère?
Natacha Calestrémé: Avec Gilles Luneau, grand reporter et journaliste spécialiste en agrochimie (Nouvel Observateur), nous étions convaincus, que les abeilles mouraient par une conjonction de phénomènes, victimes de parasites, de champignon, de virus, d’ondes électromagnétiques etc… Des causes multifactorielles. Petit à petit, nous nous sommes aperçus qu’il ne fallait pas confondre cause et conséquence. Si les abeilles résistent mal à ces pathologies c’est d’abord parce que leur organisme est affaibli.

Qu’est-ce qui les affaiblit?
Les pesticides. Et plus précisément, la recombinaison des molécules entre elles. Un herbicide conçu contre les mauvaises herbes a peu d’impact sur les abeilles. Un fongicide, utilisé contre les champignons, également. Mais ces deux produits mélangés dans le sol provoquent un cocktail chimique dont les dégâts sur les abeilles sont phénoménaux. Les agriculteurs pratiquent entre 15 et 40 traitements annuels -herbicides, fongicides, insecticides- sur leurs cultures. Or, les molécules des pesticides, présentes dans les pollens, sont persistantes dans les sols (lire l’interview de Jean-Marc Bonmatin, du CNRS). En laboratoire, ces mélanges créent des mortalités de 90% en 24h, comme nous l’explique Luc Belzunces, de l’Inra d’Avignon, dans le film. Dans la nature, c’est plus long.

Tous les insectes sont exposés. Y a-t-il des facteurs aggravants pour l’abeille?
L’abeille domestique utilise 10 kilos de miel pour faire un kilo de cire. Pour éviter cette perte en miel, l’apiculteur lui fournit de la cire, qu’il recycle d’année en années. Or certains produits chimiques sont liposolubles (ils se dissolvent dans les corps gras) et s’accumulent avec le temps. Le professeur Jean-Daniel Charrière du centre Suisse de recherches apicoles (Liebefeld-Posieux) m’a avoué avoir trouvé dans les cires de 2008 des composés organochlorés (1) interdits en Europe depuis plus de dix ans. Bref, la ruche elle-même pourrait être empoisonnée. A ma connaissance, aucun laboratoire ne s’est encore penché sur cette question.

Y a-t-il d’autres pratiques apicoles à améliorer?
Le miel étant de plus en plus rare du fait de la disparition des abeilles, certains apiculteurs ont tendance à trop en prélever. Pour que l’abeille garde une provision de miel suffisante durant l’hiver, Jean-Daniel Charrière (Suisse) préconise de ne pas prendre plus de 30% de la récolte. Aujourd’hui, les quotas sont bien supérieurs. On compense ce manque par de la mélasse de maïs ou des sirops de sucre, bien souvent non exempts de pesticides. Le miel a pourtant des qualités antibactériennes qui sont très utiles à l’abeille.
 
Quelle solution pour sauver les abeilles?

Donner des subventions au bio. Essayer de ne pas créer ces mélanges mortels dans la nature. Ne pas traiter systématiquement les cultures, mais au cas par cas. Les semences enrobées diffusent leurs produits dans la plante depuis la germination jusqu’à la récolte, sans savoir si ces pesticides seront utiles. C’est un peut comme si on vous disait : vous risquez d’attraper une grippe au mois de décembre, je vous mets sous antibiotique de septembre à juin. C’est ce qu’on fait aux plantes ! Il faut nous désintoxiquer des pesticides. Il n’est pas normal que nous, les particuliers, achetions des produits chimiques pour nos rosiers alors que nous n’avons aucun problème de rendement !

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour réaliser ce film?
Au départ, aucun apiculteur ne voulait avouer ses pertes face à la caméra car ils passent pour des incompétents auprès de leurs collègues et ne peuvent plus vendre leurs reines… Bref ils n’ont aucun intérêt à communiquer sur le sujet. L’un d’entre eux a fini par parler et cela a fait boule de neige. C’est un petit milieu. Les apiculteurs ont compris que nous n’étions pas là pour les juger mais pour les aider.

Que pensez-vous du plan d’urgence pour les abeilles, dont le principe a été adopté par le Sénat?
Cela prouve que le problème est pris en compte chez les politiques. Ils préconisent une nouvelle expertise indépendante. C’est une nécessité. Si elle est financée par les industries chimiques, elle n’aura aucune valeur ! Espérons qu’ils sauront s’entourer de gens compétents.

Propos recueillis par Rachel Mulot
édition Cécile Dumas
Sciences-et-Avenir.com
26/03/09

(1) Un composé organochloré est un produit chimique de synthèse, dérivé de molécules de chlore , utilisé comme solvant, pesticide etc. Le plus connu est le DDT.

http://videos.nouvelobs.com/video/iLyROoafJP33.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/sciences/nature/20090326.OBS0756/il_faut_se_desintoxiquer_des_pesticides.html
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